Le troisième acte vient de se terminer, le rideau tombe et la salle s'éteint, dans l'attente d'une nouvelle représentation. Pour l'instant le théâtre ferme ses portes, encore encombré des souvenirs, des éclats de rire ou des pleurs de la représentation précedente, ce trop plein d'émotions dont la salle doit se libérer peu à peu.
Tout cela pour dire que parfois il faut accepter que le rideau tombe, que certains acteurs de nos vies se retirent dans les coulisses, quand bien même nous les aimons et souhaiterions prolonger la pièce à l'infini. Nos vies sont jalonnées de rencontres et de pertes, ce mouvement incessant d'entrées et de sorties de scène, car il n'est qu'un seul rôle à attribuer à chacun. Acquiescer au départ, assumer sa souffrance et faire son deuil.
Je repense ainsi à Chimène, dans Le Cid, s'adressant à Rodrigue en ces termes :
« Va-t'en, ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu'il faut que je perde, encore que je l'aime. »
La perte est comme une mort à l'échelle de la conscience humaine, un terrible déchirement nous faisant entrevoir le manque, le Vide, nous mettant face à notre propre incomplétude, notre dépendance vis à vis de ce qui n'est plus. Tandis que notre avenir s'effondre comme un château de carte, notre présent se fissure et implose face au passé qui l'envahit, le paralyse, nous condamnant au ressassement et à la léthargie. Sans doute est-ce une étape obligée afin de remettre en ordre le puzzle de nos vies, agencer les pièces différemment et composer un tableau inédit.
En effet, de même que le cycle de dégénérescence puis de mort est ce qui permet à la vie d'éclore, c'est sur les ruines de notre passé que peut se construire notre futur. Reste à trouver le courage de soulever les pierres. « L'oubli est un puissant instrument d'adaptation à la réalité parce qu'il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle. »
(Marcel Proust, A la recherche du temps perdu)