Avez-vous déjà ressenti cette impression d'être ici et en même temps ailleurs, rattachés au réel par un fil invisible menaçant de se briser à tout instant ? Vous savez que vous vivez, mais vous ne le ressentez, pas, et la partie de vous qui observe le monde extérieur, l'analyse, l'interprète, n'entre jamais en communication avec celle qui éprouve, sent les choses.Quand vous vous en rendez compte, le vertige vous prend, un étourdissement provoqué par le choc de ces deux parties de vous-mêmes qui se méconnaissent l'une l'autre, et vous vous sentez impuissants face aux événements, condamnés à les laisser glisser sur vous sans tenter de leur faire prendre un autre cours. Vous les vivez, certes, mais sous le mode de l'acceptation passive, sans vouloir rien changer au monde extérieur, dont vous intégrez peu à peu les règles, jusqu'à les subsituer à votre mode de pensée initial. Il m'arrive parfois de me sentir comme emprisonnée dans une cuirasse de fer, imperméable au temps, me paralysant à une étape donnée de mon psychisme, et m'étouffant dans une attitude stoïque constante. On s'empêche de ressentir la douleur, on se convainc qu'elle n'a pas lieu d'être, car « les choses sont ainsi » et « ne pourraient pas être autrement ». Pire, quand la carapace se craquèle et laisse se déverser le flot des émotions refoulées, on en arrive même à culpabiliser de ressentir de telles émotions, et le barrage se reforme bien vite. Ne jamais rien laisser paraître à la surface, tout enfouir en soi, et même s'empêcher SOI MEME de ressentir pleinement le flot de ses émotions ! Tout cela est intéressant d'un point de vue psychanalytique : faites gaffe à votre Surmoi, ne le laissez pas vous asphyxier tel un boa autour de votre cou, car ensuite plus vous lutterez pour vous en libérer, plus il resserrera perfidement son étreinte !
Quelques extraits de La Nausée de Sartre, que je lis en ce moment, et que je trouve fascinant en ce qui concerne les différentes perceptions du temps que nous pouvons avoir, en fonction de la façon dont on se positionne par rapport à la vie:
« Rien n'a changé et pourtant tout existe d'une autre façon. Je ne peux pas décrire ; c'est comme la Nausée et pourtant c'est juste le contraire : enfin une aventure m'arrive et quand je m'interroge, je vois qu'il m'arrive que je suis moi et que je suis ici ; c'est moi qui fends la nuit, je suis heureux comme un héros de roman. »
« On appelle ça, si je me souviens bien, l'irréversibilité du temps. Le sentiment de l'aventure serait, tout simplement, celui de l'irréversibilité du temps. Mais pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas toujours ? Est-ce que le temps ne serait pas toujours irréversible ? »
« Il faut choisir : vivre ou raconter »
« A chaque instant je tiens de tout mon cœur : je sais qu'il est unique ; irremplaçable – et pourtant je ne ferais pas un geste pour l'empêcher de s'anéantir »